Confinement

 

Aujourd’hui, je me rends compte que je suis abominable avec Nina. Je ne suis pas capable de la sortir l'après-midi, je suis déjà bloquée pour me bouger à ce moment de la journée, mais avec la chaleur, c’est impossible. Il fait 27 à 32 degrés avec un taux d'humidité déprimant. Donc je ne sors pas et je laisse ma pauvre Nina dans l'appartement. Je n'ai jamais supporté la chaleur et transpirer est la plus grande des souffrances pour moi. Les 24 ans que j'ai passés en France, je n'ai jamais transpiré, bon le climat Nantais et Angevin y sont pour beaucoup.
Donc de midi au soir, je ne sors pas. Because chaleur extrême. Ça me fait vivre comme une confinée et je m'en fiche royalement, tant que j'ai l'air conditionné chez moi. Portable et bruyant mais efficace.

Confinée je l'ai déjà été juste avant le covid, donc ça ne m'a pas prise au dépourvue. Je consultais régulièrement mon psychiatre et les différents traitements ne faisaient pas d’effet. J'étais dans un état lamentable, l'anxiété me parcourait le corps et l'âme, je ne souhaite cette détresse à personne même au plus salopard de mes ennemis. J'étais devenue muette, je me postais devant la télé de 16h à 20h sans rien dire. J'avais la marque de mon corps sur le sofa. C'est une des étapes de la dépression, on se fait une petite routine à laquelle on s'accroche désespérément et on ne veut surtout pas être dérangée. Donc mutisme total.

Love story

Quand mon père a connu ma sorcière de mère, il était à Paris pour le travail. Elle venait de son pays natal, la Hollande, et elle étudiait le français à l’Alliance Française. Ils s'étaient déjà connus quelques années auparavant, et malgré l’intérêt de mon père, ma mère l'avait rejeté en disant :


-I have a real lover.

Un bon coup l'enclume sur la tête de François.

Mais à Paris, la sorcière n'avait aucune envie de rentrer dans sa famille hollandaise et conflictuelle, alors elle lui a carrément mit le grappin dessus. Et ça a marché. Vu que mon père n'avait aucune expérience en matière de femmes, il s'est laissé embobiné, d'autant plus qu'il avait déjà 28 ans.
Alors marché conclu entre les deux parties.
Six mois après, ils étaient mariés et étaient venus vivre à Toulon, où mon père était ingénieur aux chantiers navals.
Mon père trouvait déjà ma mère bizarre, mais il mettait ça sur le compte de l’extravagance :

-Oh oui, vous savez c'est son côté fou fou, elle a tellement le sens de l'humour.

Ha ha, le sens de l'humour, je t'en foutrais moi du sens de l'humour !

Je suis née au bout de deux ans de l'union de ses deux incapables à qui on aurait dû retirer le droit de procréer.
D'autant plus que ma mère, je veux dire la sorcière, avait déjà été envoyée dans un hôpital psychiatrique. Et juste après, j'apparaissais, mais quelle bonne idée !


Tumeur

Menu aujourd'hui : riz cantonais, c'est mon quart d'heure asiatique.

J'ai observé les premiers symptômes quand on revenait ensemble de Hossegor, direction Saint Nazaire. Francesc conduisait, mon père était à ses côtés et moi derrière avec Catherine. Il se plaignait de maux de tête, or il n'avait jamais eu mal à la tête en 63 ans. La reine des migraines, c'était moi, j'ai passé 50 ans à souffrir de cette saloperie.
Donc chez mon père c'était bizarre. Mais j'ai mis ça sur le compte de la chaleur.

- T'inquiète pas papa, c'est sûrement une insolation.

Quand on est arrivé à Saint Nazaire (un conseil, fuyez cette ville glauque de chômeurs et d'alcooliques), il a fait une crise d'aphasie mémorable.

- Papa, ça va pas, tu vas immédiatement téléphoner au médecin !

Et je me souviens de la joute verbale qui s'en est suivi.

- Mais non, c'est rien.

- Papa, téléphone au médecin !

Mon père a essayé d'esquiver mais j'ai gagné la partie :

- Si tu ne prends pas rendez-vous, je prends mes valises et je repars à Barcelone avec Cathy !!

Là ça a marché. Ce qu'il ne savait pas, c’est qu'il allait finalement passer toute la semaine à passer des examens. 

- Alors, papa ?

- Oh c'est rien, j'ai une petite tumeur au cerveau, elle est toute petite, ça se trouve ça fait des années que je l'ai.

Je ne sais pas pourquoi je l'ai cru.
Pauvre imbécile, je l'ai cru.


Somnolence

Je ne comprends pas ma dépression, le matin je suis une personne normale, je me douche je sors Nina pour son hygiène matinale, au passage je prends l'air dont j'ai besoin et je vais même faire les courses.
Ensuite je prépare le repas en me basant sur un menu hebdomadaire que j'ai concocté à ma façon.
Tout ça dans la même matinée, ça n’a l'air de rien, mais pour un dépressif, c'est beaucoup.
Et l'après-midi, à partir de 16heures, je ne décolle plus de mon sofa. Ensuite je me sens mal, complètement abasourdie par l'ennui et la chaleur. Et je fais la gueule toute la journée.
C'est une lutte constante.
Je dois absolument suivre le conseil de ma psychologue :

- Irène, sors ne serait-ce que 5 minutes, le temps que ta chienne fasse pipi. Seulement 5 minutes.

Ma psychologue, tout un poème.

Elle a quelque chose de gênant, elle a 28 ans l'âge de ma fille Catherine. Donc je n'ai aucune confiance en elle, en dessous de 50 ans, je ne fais confiance à aucun corps médical.
Les premières séances, il ne manquait que le thé et les petits fours. J’avais l'impression de papoter avec une copine et je sortais de la séance avec une sensation de vide bien profond.
Pour rentabiliser cette visite improductive, je me rendais à un bar galicien situé juste à côté de l'hôpital.

Là je m'asseyais à une belle table et je jetai mon dévolu sur un énorme bocadillo de tortilla de patatas avec une bierete fraîche et sympa. Vu que je ne petit-déjeune pas, mon acte boulimique est pleinement justifié.
En plus, lors de séances, il y a toujours des étudiantes en psychiatrie qui me traitent en cobaye, donc elles sont encore plus jeunes que ma psy. Qu'est-ce que je fais dans cette maternelle, my God? Avec le temps, ça c'est un peu amélioré, après tout j'ai quelqu'un qui m'écoute pendant une heure.

C'est déjà ça de pris.
Bon, je vais surveiller mon gratin dauphinois, il est toujours trop gratiné. C'est pas parce qu'on se prend pour une écrivaine, qu'on doit louper un gratin.


Ma mère.

 
Un long fleuve pas tranquille. Je me suis demandée si elle avait toujours été schizophrène. En fait, vu ce qui lui est arrivé à 16 ans je crois pouvoir comprendre.
Ma mère était une artiste, elle savait tout faire. À l'époque elle jouait du piano et ses parents lui avait assigné un professeur d'une quarantaine d'années, propre sur lui et tout et tout. Il en a profité, le gros baveux, pour coucher avec elle. Il ne l'a pas violée mais il a abusé de son innocence. Et elle toute contente elle était fière d'avoir un "amant".
Mes grands-parents, protestants hollandais hyper rigides l'ont viré sur le champ.
Évidemment.

Mais ça a été le début de la descente aux enfers pour ma mère, elle a été répudiée et totalement rejetée par sa famille.
Déjà qu'elle n'était pas aimée au départ, c’était le vilain petit canard de la famille.

 

Le nez. That's the question. Ma mère avait le nez busqué et proéminent. Son frère Yan avait le même, mais ça lui allait bien et plus tard dans sa vie d'adulte, entre le nez busqué et la barbe, il ressemblait à un capitaine de bateau. Mais chez ma mère, c’était pas la même histoire. Le pire, car il y a pire, c'est que ma mère avait trois sœurs, plus jolies les unes que les autres : Ut, la douce blonde aux yeux bleus, Meike qui ressemblait à ma mère mais sans le fichu nez et Katerina, la petite dernière, une jolie petite poupée.
Donc, le contexte n'était pas favorable et ma grand-mère, Willermina n'était pas tendre avec Hannie, la fille brune au vilain nez.



 




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