Love story
Quand
mon père a connu ma sorcière de mère, il était à Paris pour le travail. Elle
venait de son pays natal, la Hollande, et elle étudiait le français à
l’Alliance Française. Ils s'étaient déjà connus quelques années auparavant, et
malgré l’intérêt de mon père, ma mère l'avait rejeté en disant :
-I have a real lover.
Un bon coup l'enclume sur la tête de
François.
Mais à Paris, la sorcière n'avait aucune envie de rentrer dans sa famille
hollandaise et conflictuelle, alors elle lui a carrément mit le grappin dessus.
Et ça a marché. Vu que mon père n'avait aucune expérience en matière de femmes,
il s'est laissé embobiné, d'autant plus qu'il avait déjà 28 ans.
Alors marché conclu entre les deux parties.
Six mois après, ils étaient mariés et étaient venus vivre à Toulon, où mon père
était ingénieur aux chantiers navals.
Mon père trouvait déjà ma mère bizarre, mais il mettait ça sur le compte de l’extravagance
:
-Oh oui, vous savez c'est son côté fou fou, elle a tellement le sens de
l'humour.
Ha ha, le sens de l'humour, je t'en foutrais moi du sens de l'humour !
Je suis née au bout de deux ans de l'union de ses deux incapables à qui on
aurait dû retirer le droit de procréer.
D'autant plus que ma mère, je veux dire la sorcière, avait déjà été envoyée dans
un hôpital psychiatrique. Et juste après, j'apparaissais, mais quelle bonne
idée !
Tumeur
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aujourd'hui : riz cantonais, c'est mon quart d'heure asiatique.
J'ai observé les premiers symptômes quand on revenait ensemble de Hossegor,
direction Saint Nazaire. Francesc conduisait, mon père était à ses côtés et moi
derrière avec Catherine. Il se plaignait de maux de tête, or il n'avait jamais
eu mal à la tête en 63 ans. La reine des migraines, c'était moi, j'ai passé 50
ans à souffrir de cette saloperie.
Donc chez mon père c'était bizarre. Mais j'ai mis ça sur le compte de la
chaleur.
- T'inquiète pas papa, c'est sûrement une insolation.
Quand on est arrivé à Saint Nazaire (un conseil, fuyez cette ville glauque de
chômeurs et d'alcooliques), il a fait une crise d'aphasie mémorable.
- Papa, ça va pas, tu vas immédiatement téléphoner au médecin !
Et je me souviens de la joute verbale qui s'en est suivi.
- Mais non, c'est rien.
- Papa,
téléphone au médecin !
Mon père a essayé d'esquiver mais j'ai gagné la partie :
- Si tu ne prends pas rendez-vous, je prends mes valises et je repars à
Barcelone avec Cathy !!
Là ça a marché. Ce qu'il ne savait pas, c’est qu'il allait finalement passer
toute la semaine à passer des examens.
- Alors, papa ?
- Oh c'est rien, j'ai une petite tumeur au cerveau, elle est toute petite, ça
se trouve ça fait des années que je l'ai.
Je ne sais pas pourquoi je l'ai cru.
Pauvre imbécile, je l'ai cru.
Somnolence
Je ne
comprends pas ma dépression, le matin je suis une personne normale, je me douche
je sors Nina pour son hygiène matinale, au passage je prends l'air dont j'ai
besoin et je vais même faire les courses.
Ensuite je prépare le repas en me basant sur un menu hebdomadaire que j'ai
concocté à ma façon.
Tout ça dans la même matinée, ça n’a l'air de rien, mais pour un dépressif,
c'est beaucoup.
Et l'après-midi, à partir de 16heures, je ne décolle plus de mon sofa. Ensuite
je me sens mal, complètement abasourdie par l'ennui et la chaleur. Et je fais
la gueule toute la journée.
C'est une lutte constante.
Je dois absolument suivre le conseil de ma psychologue :
- Irène, sors ne serait-ce que 5 minutes, le temps que ta chienne fasse pipi.
Seulement 5 minutes.
Ma psychologue, tout un poème.
Elle
a quelque chose de gênant, elle a 28 ans l'âge de ma fille Catherine. Donc je
n'ai aucune confiance en elle, en dessous de 50 ans, je ne fais confiance à
aucun corps médical.
Les premières séances, il ne manquait que le thé et les petits fours. J’avais
l'impression de papoter avec une copine et je sortais de la séance avec une
sensation de vide bien profond.
Pour rentabiliser cette visite improductive, je me rendais à un bar galicien
situé juste à côté de l'hôpital.
Là je m'asseyais à une belle table et je jetai mon dévolu sur un énorme bocadillo
de tortilla de patatas avec une bierete fraîche et sympa. Vu que je ne
petit-déjeune pas, mon acte boulimique est pleinement justifié.
En plus, lors de séances, il y a toujours des étudiantes en psychiatrie qui me
traitent en cobaye, donc elles sont encore plus jeunes que ma psy. Qu'est-ce
que je fais dans cette maternelle, my God? Avec le temps, ça c'est un peu amélioré,
après tout j'ai quelqu'un qui m'écoute pendant une heure.
C'est déjà ça de pris.
Bon, je vais surveiller mon gratin dauphinois, il est toujours trop gratiné.
C'est pas parce qu'on se prend pour une écrivaine, qu'on doit louper un gratin.
Ma mère.
Un long fleuve pas tranquille. Je me suis demandée si elle avait toujours été
schizophrène. En fait, vu ce qui lui est arrivé à 16 ans je crois pouvoir
comprendre.
Ma mère était une artiste, elle savait tout faire. À l'époque elle jouait du
piano et ses parents lui avait assigné un professeur d'une quarantaine
d'années, propre sur lui et tout et tout. Il en a profité, le gros baveux, pour
coucher avec elle. Il ne l'a pas violée mais il a abusé de son innocence. Et
elle toute contente elle était fière d'avoir un "amant".
Mes grands-parents, protestants hollandais hyper rigides l'ont viré sur le
champ.
Évidemment.
Mais ça a été le début de la descente aux enfers pour ma mère, elle a été répudiée
et totalement rejetée par sa famille.
Déjà qu'elle n'était pas aimée au départ, c’était le vilain petit canard de la famille.
Le
nez. That's the question. Ma mère avait le nez busqué et proéminent. Son frère
Yan avait le même, mais ça lui allait bien et plus tard dans sa vie d'adulte,
entre le nez busqué et la barbe, il ressemblait à un capitaine de bateau. Mais chez
ma mère, c’était pas la même histoire. Le pire, car il y a pire, c'est que ma
mère avait trois sœurs, plus jolies les unes que les autres : Ut, la douce
blonde aux yeux bleus, Meike qui ressemblait à ma mère mais sans le fichu nez
et Katerina, la petite dernière, une jolie petite poupée.
Donc, le contexte n'était pas favorable et ma grand-mère, Willermina n'était
pas tendre avec Hannie, la fille brune au vilain nez.
Mon poulet au curry a eu du succès, le
fiston, Guillem, a vidé son plat en 3 minutes.
Je ne me suis pas présentée, de toute façon ce journal est un puzzle. Je
m'appelle Irène, j'ai 59 printemps, je suis gémeaux et ex traductrice. A
l'heure actuelle, je ne peux plus travailler.
Le monde du travail, en plus d'autres raisons, ma littéralement fracassée. Je
suis une petite nature, soumise et incapable de se défendre. On me gifle et je
tends l'autre joue. Une psy m'avait expliquée, avec beaucoup de justesse, que
j'avais le profil poubelle. Sachant que la poubelle avale toutes les merdes
environnantes, ça me faisait un sacré profil. Et pourtant, j'avais une alliée
hors pair : une petite sonnette qui faisait gling gling, pendant une fraction
de seconde pour m'avertir du danger. Mais une fraction de seconde ne me laissait
pas le temps d’utiliser mon intelligence- j'en ai quand même un peu-et je
tombais dans tous les pièges, essentiellement ceux liés au putain de monde du
travail.
Je n'ai jamais souffert de harcèlement, j’ai eu de la chance. Par contre, je me
suis coltinée tous vieux fachos hurleurs de la planète.
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